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Votre notaire doit-il avoir de la mémoire ?



Cas pratique

Le Tribunal de Première Instance de Verviers a, dans un jugement définitif inédit du 24.02.2014, condamné  un notaire au paiement d’une somme d’un euro provisionnel envers un locataire à bail commercial évincé par un créancier hypothécaire.
 
La situation était la suivante :
 
Monsieur X conclut le 4.4.2008 un contrat de bail commercial pour un loyer mensuel  de
2 000 €  en vue de l’exploitation dans les lieux d’une maison de vacances.
 
Le bail qui est enregistré le 23.04.2008 est  rédigé initialement par la plume du notaire et remis aux parties  sous forme de modèle.   La bailleresse et le candidat locataire retravaillent ce modèle et  le remettent retravaillé au notaire qui le redactylographie et le fait enregistrer.
 
L’immeuble donné en location était affecté d’une hypothèque en premier rang au profit d’une banque de droit néerlandais, selon acte du 3.1.2002 passé devant un autre notaire et en deuxième rang, d’une hypothèque au profit d’une banque de droit belge selon acte d’un autre notaire encore du 27.06.2007.
 
Le notaire rédacteur du bail commercial est lui aussi intervenu le 14.03.2006 et le 9.5.2006 pour recevoir des actes de prêt avec affectation hypothécaire pour le même bien.
 
Immédiatement après la conclusion du bail, les parties dressent dans un document daté du 15.05.2008, la liste des travaux que s’engage à effectuer le locataire dans la villa.
 
En date du 29.08.2008, le locataire et la bailleresse vont comparaissent une nouvelle fois devant le notaire aux fins de compléter la première liste des travaux dont le coût total avoisine les
200 000 €.
 
Le notaire à ce moment :

  1. est informé que plusieurs hypothèques pèsent sur le bien loué puisqu’il est lui-même intervenu en 2006 pour recevoir des actes de prêt avec affectations hypothécaires sur ledit bien ;
  1. est informé qu’un contrat de bail commercial a été conclu pour la location du même bien puisque c’est lui qui a donné le modèle de bail et qui l’a fait enregistrer ;
  1. est informé que le candidat locataire s’apprête à réaliser des travaux pour des montants très importants puisque c’est devant lui que les parties ont comparu aux fins de dresser la liste complète des travaux à réaliser.

Malheureusement, la situation se gâtera rapidement car la propriétaire-bailleresse négligera de rembourser ses différents prêts.
 
Le 19.03.2010, une saisie exécution immobilière sera pratiquée en vertu des actes de prêt avec affectations hypothécaires passés en mars et mai 2006 devant le notaire.
 
Le locataire tâchera bien de résister aux mesures d’exécution en faisant valoir qu’il est titulaire de droits issus d’un contrat de bail commercial enregistré, mais la chambre des saisies du Tribunal saisi lui dira dans un jugement du 10.06.2011 que le bail conclu est inopposable au créancier hypothécaire saisissant.
 
Le locataire évincé se tournera alors vers la Justice afin d’obtenir la condamnation solidaire de sa bailleresse et du notaire.
 
Il réclamera indemnisation pour le manque à gagner subi puisqu’il n’a pu rester dans les lieux jusqu’au terme de la période de 9 ans fixée dans le bail commercial et réclamera également indemnisation pour les travaux importants qu’il a réalisés et dont il ne pourra jouir jusqu’à l’expiration du bail.
 
Le locataire recherche plus précisément la responsabilité professionnelle du notaire sur base de l’article 9 § 1er alinéa 3 de la loi du 4.5.1999 qui dispose que le notaire informe toujours entièrement chaque partie des droits, des obligations et des charges découlant des actes juridiques dans lesquels il intervient et conseille les parties en toute impartialité.
 
La bailleresse fera défaut à tous les stades de la procédure et le notaire contestera toute responsabilité.

Le Tribunal donnera raison sur le principe de la responsabilité au locataire.
 
Le raisonnement du Tribunal est le suivant :

  1. tout d’abord le Tribunal rappelle que l’acte notarié constitutif de l’hypothèque consentie en premier rang au profit de l’établissement de crédit de droit néerlandais  contient une clause qui stipule que le bien hypothéqué ne pourra être loué sans l’accord écrit de la banque, ni donné à bail ou en jouissance ou toute autre forme ;
  1. le notaire n’a pas attiré l’attention de la bailleresse sur l’existence d’une telle clause alors qu’il n’ignorait pas que l’immeuble donné en location était affecté d’hypothèques ;
  1. le notaire devait dès lors attirer l’attention de la bailleresse sur la possibilité d’existence de cette clause litigieuse puisque le notaire a reconnu qu’elle était courante ;
  1. le tribunal observe également qu’il est plus que probable que si la banque bénéficiaire de l’hypothèque avait été informée des discussions concernant la conclusion d’un bail commercial, elle n’aurait pas marqué son accord dans la mesure où le contrat de bail autorisait le preneur à effectuer des travaux de transformation sans autre précision, le coût de ces travaux pouvant être déduit des loyers dus par le locataire ; 
  1. le tribunal rappelle que le notaire remplit une mission de confiance d’où découle un devoir d’assistance et que le corollaire de ce devoir d’assistance est un devoir d’information et de conseils à l’égard de toutes les parties à l’acte même celles qui des intérêts opposés ; 
  1. plus généralement, le Tribunal rappelle qu’un notaire doit attirer l’attention des parties sur l’ensemble des risques que présente une opération pour l’une ou l’autre d’entre elles.

Pour la SPRL TROXQUET-LAMBERT & PARTENAIRES
Pascal LAMBERT
Octobre2014.