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Nouvelle réglementation



L'obligation de motiver le licenciement

Dans la foulée de l’adoption de la nouvelle législation relative au statut unique ouvrier-employé, les organisations interprofessionnelles d’employeurs et de travailleurs ont conclu la convention collective de travail n° 109 concernant la motivation du licenciement.
 
L’uniformisation du délai de préavis devait nécessairement s’accompagner sur une réflexion sur la motivation du licenciement.
 
En effet, seuls les ouvriers bénéficiaient d’une obligation de motivation a posteriori de leur licenciement : ils ne pouvaient pas être licenciés pour n’importe quel motif et, en cas de contestation, il appartenait à l’employeur de prouver que le licenciement avait été décidé pour de « juste » motifs.
 
La CCT est adoptée dans un esprit de mettre l’ensemble des travailleurs un même pied d’égalité.
 
La présente note ne vise pas à décrire de manière technique et complète le dispositif de cette réglementation mais à cerner les incidences pratiques sur la relation de travail.
 
Notons à titre préliminaire que la nouvelle réglementation est limité dans le temps (applicable uniquement au licenciement notifié après le 1er avril 2014) et essentiellement circonscrit au contrat de travail à durée indéterminée. La CCT exclut expressément son applicabilité à certains types de contrat : contrat de travail intérimaire, contrat d’occupation d’étudiant, et, plus fondamentalement, ne peut trouver à s’appliquer pendant les 6 premier mois de la relation.
 

  1. Le droit de connaître les motifs concret du licenciement

 
Dans l’hypothèse où la lettre de licenciement adressée au travailleur ne serait pas motivée, celui-ci  a désormais le droit d’être informé par son employeur des motifs concrets qui justifie cette décision :

Soit, en cas de licenciement moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, dans les               deux mois suivant la rupture du contrat de travail ;

Soit, en cas de prestation du préavis, dans un délai de six mois après la notification du congé par l’employeur,     sans toutefois pouvoir dépasser deux mois après la fin du contrat de travail (Art. 4. al. 2 CCT)

Cette démarche s’effectue obligatoirement par le biais d’un pli recommandé.
 
A partir de la réception de la demande, l’employeur dispose d’un délai de 2 mois pour y répondre par recommandé.
 
A défaut de respecter cette forme et ce délai, l’article 7 de la CCT prévoit une sanction correspondant à deux semaines de rémunération.
 
L’employeur qui souhaite remplir son obligation de motivation devra être suffisamment précie et complet dans ses explications. En effet, il faut que le travailleur soit pleinement informé des éléments qui ont conduit à son licenciement. La clarté et la précision sont de mises afin qu’il puisse connaître les raisons de son licenciement et apprécier si celui-ci est ou non manifestement déraisonnable.  (L. Peltzer et E. Plasschaert, la motivation du licenciement des travailleurs : nouvelles règles pour tous les travailleurs depuis le 1er avril 2014, J.T., 2014, p.377)
 

  1. Le licenciement manifestement déraisonnable

 
En cas de contestation des motifs, ou en l’absence de réponse de l’employeur, il est loisible au travailleur d’introduire une action devant le Tribunal du Travail compétent en vue de constater le caractère manifestement déraisonnable du licenciement.
 
Selon une formulation qui rappelle celle de l’ancien article 63 (licenciement abusif) de la loi sur les contrats de travail l’article 8 de la CCT décrit le licenciement manifestement déraisonnable comme :
« le licenciement d’un travailleur engagé pour une durée indéterminée, qui se base sur des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, et qui n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable »
 
Ainsi, seuls trois éléments sont de nature à justifier le licenciement :

1.       « L’aptitude du travailleur »

Cela devrait pouvoir se démontrer par des évaluations, qu’elles soient unilatérales (mais non contestées en temps utile) ou contradictoires.

2.       « La conduite du travailleur »

Ceci peut être prouvé par les avertissements écrits communiqués au travailleur

3.       « Les nécessités du fonctionnement de l’entreprise »

Ces 3 éléments ne sont pas à cumuler.
En outre, le licenciement manifestement déraisonnable est  celui qui « n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable ».
 
La CCT précise toutefois qu’en cas de contestation du licenciement, le juge n’exerce qu’un contrôle marginal, « étant donné que l’employeur est dans une large mesure libre de décider ce qui est raisonnable : il faut respecter les différentes alternatives de gestion »
 
Le régime du licenciement manifestement déraisonnable n’a toutefois pas vocation à s’appliquer à certaine hypothèse :

  • il ressort des commentaires de l’article 8 de la CCT précise que le « contrôle du caractère déraisonnable du licenciement ne porte pas sur les circonstances du licenciement ».

Ainsi, par exemple, un travailleur qui s’estimerait atteint dans son honneur par la manière dont le congé lui a été notifié au regard de son rang dans l’entreprise devra se reposer sur la théorie de l’abus de droit et démontrer : l’abus, le préjudice et le lien entre ces deux éléments.

  • le licenciement pour motif grave – régulièrement notifié -, même s’il n’est pas admis par le tribunal (Article 2 § 4 CCT)
 
  1. Indemnisation

 
L’article prévoit qu’en cas de licenciement manifestement déraisonnable, «  l’employeur est redevable d’une indemnisation au travailleur » qui correspond « au minimum à trois semaines de rémunération et au maximum à dix-sept semaines de rémunération ».
 
Par rémunération, on entend la rémunération en ce compris les avantages acquis en vertu du contrat de travail. (L. Peltzer et E. Plasschaert, la motivation du licenciement des travailleurs : nouvelles règles pour tous les travailleurs depuis le 1er avril 2014, J.T., 2014, p.377).
 
A partir de cette fourchette de départ, le juge est invité à fixer le montant définitif en fonction de « la gradation du caractère manifestement déraisonnable du licenciement » et donc en fonction du cas d’espèce. (Commentaire art. 9)
 

  1. Régime de sécurité sociale

 
La nouvelle C.C.T n’apporte aucune précision sur la question de savoir si les différentes indemnités éventuellement dues au travailleur sont soumises aux cotisations de sécurité sociale et au précompte ou s’il s’agit d’une somme exempte de retenues.
 

a) La sanction prévue en cas de défaut de motivation

 
L’hypothèse ici visée est celle où l’employeur viole l’article 7 de la CCT en ne communiquant pas dans les délais et formes prévus la motivation du licenciement (cfr. Point 1)
 
Dans son avis du 12 février 2014 n° 1891, le Conseil national du travail a examiné la question et a conclut, au regard de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, que cette indemnité ne donne pas lieu à la perception de cotisations de sécurité sociale.
 
Dans le même ordre d’idée, le C.N.T. considère que « ces montants ne sont pas de la rémunération au sens des articles 44 et suivants de l’arrêté royal du 26 novembre 1991 portant réglementation sur le chômage » afin que le travailleur licencié puisse les cumuler avec des allocations sociales qu’il pourrait, le cas échéant, percevoir. (M-L. Wantiez et G. Lemaire, « Quelques questions relatives à la convention collective n° 109 concernant le motivation du licenciement »
 
L’ONSS s’est aligné à cette position et considère que l’indemnisation ne constitue pas de la rémunération et est, partant, exclue de cotisations de sécurité sociale.
 

b) L’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable

 
A l’image de la sanction prévue en cas de défaut de motivation, le CNT, dans la même avis n° 1891, aboutit à la même conclusion. Il plaide pour que l’indemnisation due au travailleur victime d’un licenciement manifestement déraisonnable ne constitue pas de la rémunération donnant lieu à la perception de cotisations de sécurité sociale et soit cumulable avec les allocations de chômage.
 
Cependant, sur ce point, l’ONSS diverge de cette position dans la mesure où il considère que l’indemnisation ne sera exclue de cotisations de sécurité sociale qu’à condition qu’elle ait été fixée par décision judiciaire ou par transaction entérinée judiciairement. (Onss.be)
 
Ce faisant, l’ONSS ajoute une condition qui ne figure nulle part et qui ne peut être déduite du texte de la CCT n° 109
 

  1. Conclusions et conseils pratiques
 

L’arrivée de la nouvelle CCT modifie profondément le droit du licenciement et plus fondamentalement la relation de travail.
Dans le nouveau régime instauré par la CCT, la charge de la preuve prendre une place prépondérante dans le cadre du contentieux pour licenciement manifestement déraisonnable.

Il devient désormais impératif pour l’employeur de recueillir et de conserver les éléments de preuve des causes du licenciement (statistiques, rapports, évaluation, plaintes des clients, avertissements etc.) A chaque incident, le recours à l’écrit est vivement conseillé.

A l’inverse, le travailleur est invité, le cas échéant, à contester en temps utiles les notes et rapport qui lui sont adressé.

A l’avenir, dès l’entrée en fonction du travailleur, toute critique, remarque ou observation sur l’attitude du travailleur dans ses fonctions, sur la conduite du travailleur dans son travail doivent être dénoncées par écrit au travailleur.

Il sera alors aisé à l’employeur d’avoir un dossier complet et de trouver dans ses écrits constitués au fil du temps une motivation pour un licenciement.

Sans un tel dossier, l’employeur sera dans une position certainement plus difficile pour motiver la rupture du contrat de travail qui doit toujours rester responsable et pour des raisons qu’il appartient aujourd’hui à l’employeur de justifier (aptitude et conduite de travail, nécessité du fonctionnement de l’entreprise).

De telles observations au cours de la vie de travail permettront certainement aussi au travailleur de prendre conscience des corrections à apporter au cours de la relation de travail, ce qui devrait éviter des licenciements brutaux, incompréhensibles et ressentis comme totalement injustifiés.


 

Pour la SPRL TROXQUET-LAMBERT & PARTENAIRES
Pierre LEGRAS,
Vincent TROXQUET
Août 2014.